20.08.2020
Intrants œnologiques
Depuis une dizaine d’années, un intérêt croissant est observé pour les travaux expérimentaux sur les alternatives aux sulfites et les process d’élaboration de vins sans sulfites. Cet intérêt est lié à l’évolution des pratiques en vinification vers la réduction de l’utilisation des sulfites. Dans ce contexte Lamothe-Abiet a fait le point, le 16 juin dernier, sur ses travaux concernant l’emploi en bioprotection de la levure non-Saccharomyces Metschnikowia pulcherrima.
On trouve aujourd’hui sur le marché des produits œnologiques bon nombre d’alternatives au SO2 pour ses propriétés extractives, antioxydasiques et antioxydantes. En revanche le SO2 n’a pas aujourd’hui d’équivalent pour ses propriétés antiseptiques. « Le SO2 crée un vide microbiologique avec le risque de contaminations secondaires par des microorganismes indigènes (Brettanomyces, Peddiococcus, Lactobcillus), de mutation ou d’apparition de souches résistantes au SO2 comme les Brettanomyces triploïdes », souligne Galdric Nogues, chef de produit chez Lamothe-Abiet. La bioprotection permet de s’affranchir de ce vide microbiologique en contrôlant la population par l’ajout d’une levure non Saccharomyces à hauteur de 104 ou 106 UFC/g pour être à des niveaux de population équivalents à ceux des levures totales indigènes et éviter que l’une d’entre elles prenne le dessus. La levure ajoutée doit bien sûr être compatible avec S. cerevisiae pour sécuriser son inoculation et assurer la fermentation alcoolique.
La levure de bioprotection sélectionnée par Lamothe-Abiet suite aux travaux menés avec l’université de Stellenbosch et de Bordeaux, Metschnikowia pulcherrima, se caractérise par une implantation rapide sans fermenter et sa compatibilité avec S. Cerevisiae. Cette levure résiste à basses températures (jusqu’à 3°C) permettant des stabulations à froid. Mais son intérêt majeur réside dans son comportement antagoniste envers d’autres espèces de levures indésirables (Brettanomyces, Candida apicola, Dekkera, Hanseniaspora, Pichia, ….). L'activité antimicrobienne observée est due à son pigment, la pulcherrimine*, immobilisant dans le milieu tout le fer, un élément vital pour la croissance d'autres levures. Cette activité antimicrobienne n’impacte pas S. Cerevisiae, qui a la possibilité génétique de réutiliser la pulcherrimine, d’où la compatibilité entre les deux micro-organismes.
En 2017, des essais ont été réalisés en Loire sur du chenin vinifié en vin de base. Ces essais montrent une différence de couleur sur moût plus soutenue sur la modalité bioprotection avec 5 g/hl de M.pulcherrima par rapport à la modalité sulfitée (5 g/hl sur raisin) du fait de l’absence de protection antioxydante sur la modalité bioprotection. Cette différence se retrouve en fin de process mais de manière moins marquée. L’autre différence réside dans les moindres teneurs en composés combinants du SO2 (éthanal, acide pyruvique,…) en fin de fermentation alcoolique (FA) pour la modalité bioprotection. Ceci illustre un stress inférieur de la levure S. cerevisia pendant la fermentation. « La mesure TL35 à la fin de la FA, qui traduit la quantité de SO2 à ajouter pour atteindre 35 mg/L de SO2 libre, est de 80 sur la modalité bioprotection conte 104 pour la modalité sulfitée : le sulfitage post FA a été plus efficace en bioprotection du fait du niveau de combinaison moindre », précise Galdric Nogues.
Les analyses aromatiques de ces essais montrent une augmentation de 24% de la teneur en thiols (4MMP, 3MH et A3MH) dans la modalité bioprotection par rapport à la modalité sulfitée et une diminution de 26 % des composés soufrés volatils nauséabonds (méthanethiol, diméthyle sulfure, diéthyle sulfure). Un autre essai mené sur sauvignon blanc en 2019 confirme l’impact aromatique réel de M.pulcherrima avec des teneurs 80% plus élevées en thiols par rapport au témoin.
Les travaux de thèse réalisée par Pauline Séguinot en 2019, montrent des besoins en nutriments particuliers de M.pulcherrima. Cette levure consomme de manière importante les acides aminés (leucine, isoleucine, valine, glutamate et glutamine notamment) pour assurer son activité enzymatique impliquée dans la révélation des thiols et des terpènes ; en revanche elle consomme très peu d’azote ammoniacal. De fait, il est primordial de réfléchir les apports d’azote organique dans le cadre d’une inoculation séquentielle avec S. cerisiae pour permettre un bonne cinétique fermentaire.
* pigment extracellulaire rouge formé par un certain nombre d'espèces de bactéries et de certaines espèces de levure après croissance dans des milieux enrichis en fer