01.12.2015
Hygiène / Microbiologie du vin
Le goût de souris est une déviation organoleptique qui suggère des odeurs de souris, pop corn, tortilla etc… Souvent méconnue, cette déviation n'en reste pas moins préoccupante car non prévisible... Nicolas Richard, ingénieur oenologue du service R&D d'Inter-Rhône présente quelques pistes de réflexions pour mieux appréhender cette finale aromatique souvent sournoise.
Nicolas Richard : La recherche aujourd’hui a démontré que deux microorganismes, les levures Brettanomyces et les bactéries lactiques Lactobacillus et Oenococcus sont à l’origine de ces déviations. À partir de deux acides aminés, la lysine et l’ornithrine, trois molécules sont synthétisées : le 2 acétyltétrahyropyridine ATHP, le 2 éthyltétrahydropyridine et le 2 acétyl 1 pyroline. Selon de récentes études, il existerait une autre voie de synthèse. D’autres molécules pourraient ainsi être synthétisées, peut être des pyridines… Les deux types de microorganismes peuvent intervenir sans la présence de l’autre. Lorsqu’il y a synthèse d’ATHP, cette déviation se manifeste lorsque le pH augmente et l’acidité diminue. En bouche, la salive a tendance à augmenter le pH de la solution. Il semblerait qu’à pH élevé, un isomère des molécules responsables du goût de souris passe sous une autre forme chimique qui serait détectée par l’homme.
Nicolas Richard : Tous les dégustateurs ne sont pas égaux puisque le pH de la salive agit sur la perception du défaut. Or le pH varie d’un individu à l’autre voire le pH salivaire d'un même individu varie au cours de la journée ! Si vous mangez des huîtres avec du jus de citron vous ne sentirez pas cette déviation ! Les odeurs associées sont : souris, tortilla, peau de saucisson, voire vomi dans certains cas et eau du riz basmati. Les molécules responsables de l’odeur de l’eau du riz basmati, à base de pyridines, sont bien connues parce qu’étudiées par l’industrie agroalimentaire. Deux essais peuvent être réalisés pour révéler la présence d’ATHP. Pour en être certain vous pouvez tremper le doigt dans le vin, attendre quelques secondes et sentir… le pH de la peau augmente celui du vin et l’odeur peut ainsi être perçue par l’homme. Autre astuce imparable : mettre une cuillère de bicarbonate de soude dans un verre du vin suspect. Il y aura une effervescence et un dégagement de l’odeur instantanément.
Nicolas Richard : Les vins sulfités à plus de 15 mg/l de SO2 libre ne sont pas affectés par cette déviation. L’anhydride sulfureux dès 2 g/hl diminue le goût, mais 5 g/hl ne le masquera pas plus. Il est ainsi inutile d’augmenter démesurément les doses de SO2. De mon côté, j’ai testé de nombreuses colles et j’ai obtenu une efficacité avec les tanins oenologiques : les ellagitanins à des doses de 5g/hl. Est-ce l’effet antioxydant des tanins qui agit ? Est-ce que les tanins masquent cette aromatique ? Autant de questions actuellement sans réponse. Il semble que ces molécules soient passagères. Les vignerons voient ce phénomène disparaître au bout de quelques mois. Surprenant mais rassurant. Si le vin est déjà en bouteille, il vaut mieux attendre… mais impossible de définir une durée. Ce goût serait probablement lié au potentiel redox du vin qui a tendance à varier avec le temps.
Nicolas Richard : Il faut respecter toutes les règles de préconisations d’un point de vue microbiologique, de l’hygiène en cave, et de la maîtrise des fermentations malolactiques… Si cette déviation apparaît pendant la fermentation alcoolique, elle a tendance à disparaître pendant la vinification.