12.03.2019
Climatologie
Le 7 mars dernier, InterLoire a réuni plus de 80 professionnels de la filière pour qu’ils se prêtent à un exercice de prospective animé par l’équipe de recherche du projet LACCAVE*, FranceAgrimer et l’INAO. Ils ont imaginé ce que pourrait devenir la filière vigne et vin du Val de Loire selon différents scénarios d’adaptation au changement climatique.
Au regard des prévisions attendues en 2050, iI sera impossible de conserver les profils actuels de nos vin avec les cépages et les techniques d’aujourd’hui. Inévitablement l’évolution climatique nous impose de se préparer au changement. L’incertitude n’est plus sur le changement de notre climat, ni sur ses effets sur la vigne mais elle reste complète sur ses impacts sociaux, économiques, techniques et politiques. « La seule manière d’évoluer sans subir le changement climatique est de se mettre en mouvement ! Nous avons voulu initialiser ce mouvement en réfléchissant collectivement, avec toute la diversité des acteurs de la filière, aux stratégies d’adaptation possibles par rapport au changement climatique, à leurs enjeux et leurs conséquences », explique Jean-Martin Dutour, Président d’InterLoire.
Le projet de recherche européen LACCAVE* (2012-2016), cofinancé par l’INRA, a étudié les adaptations à long terme au changement climatique pour la viticulture et l’œnologie. De ces travaux ont découlé l’identification de quatre scénarios d’adaptation possible pour la filière construits selon deux axes : l’intensité de l’innovation et l’importance de la relocalisation (à l’intérieur d’une appellation, d’un vignoble, d’un plus large territoire). Le scénario "Conservateur", est celui où l’on met en place des solutions très mesurées en termes d’innovation et de relocalisation. Le scénario "Innovant" décrit une percée de l’innovation, notamment le recours à de nouveaux cépages, de nouveaux process œnologiques. Le scénario "Nomade" implique de planter des vignes plus au nord, si l’on veut garder les mêmes types de vin. Et enfin, le scénario "Liberal", où l’ensemble des solutions d’innovation et de relocalisation pourront être mises en œuvre. Les 80 acteurs participant à cette journée ont alors imaginé ce que deviendrait notre filière dans chacun de ces scénarios d’un point de vue technique, marché, acteurs, territoires et dans son organisation, sa gouvernance. « Le but n’est pas de décider d’un scénario, il est de donner matière à réfléchir, d’aider à ce que chacun s’imprègne du besoin de s’adapter. Le choix devra être un dosage, une combinaison de plusieurs attitudes stratégiques car il faut rester adaptable», précise Patrick Aigrain de FranceAgrimer.
Beaucoup de leviers d’adaptation ont été imaginés sur le plan technique : de l’intégration de clones plus vigoureux, de porte-greffes adaptés à la sécheresse dans un chemin conservateur par exemple à l’aromatisation, l’artificialisation dans le process mais aussi dans le produit avec le « cracking » dans une stratégie libérale. La diversification des cépages et le développement d’outils d’aide à la décision pour permettre une viticulture de précision et celui du pilotage collectif ont été plébiscités dans la stratégie innovante. La crainte exprimée est celle de tension sur les ressources en eau. En termes de marché, l’émergence de nouveaux labels a été envisagée dans une stratégie conservatrice ainsi que le développement de l’oenotourisme. Mais la difficulté de produire des vins sur la fraîcheur pourrait engendrer une perte de marchés. Dans une stratégie innovante, la différenciation des vins AOP et VSIG pourrait être plus forte, avec l’abandon des entrées de gamme produits en UE et une spécialisation nationale dans l’AOP. Il y aurait un développement des vins « bons, propres, pas chers ». Dans le scénario nomade, les participants ont mis en avant une offre plus lisible avec un marché de marque fort mais une perte d’identité culturelle. Dans un scénario libéral, la performance à l’export serait meilleure avec une segmentation des marchés plus importante (luxe et vrac), l’offre très diversifiée et la production opportuniste.
Au niveau des acteurs et du territoire, la stratégie conservatrice entrainerait une diminution des surfaces en culture, une augmentation de la taille des structures et une érosion de la productivité. La stratégie innovante permettrait une meilleure intégration des acteurs du territoire et le développement de la R&D mais verrait apparaître des investisseurs extérieurs possédant du foncier et de l’expertise métier. Dans une stratégie nomade, le Val de Loire serait un vignoble « d’accueil » lui permettant de maintenir une filière viticole dans laquelle le négoce aurait une place prépondérante. Le scénario libéral changerait le modèle pour se rapprocher du système des IAA** (concentration des acteurs et spécialisation des métiers), la recherche deviendrait privée et opportuniste. Enfin, au niveau de l’organisation de la filière, les participants ont pensé que le poids de l’INAO et des ODG serait renforcé dans un scénario conservateur mais que le risque d’un système AOP trop restrictif pour permettre de s’adapter engendrerait la sortie d’opérateurs de cette organisation. Dans la stratégie innovante, en revanche, une perte de pouvoir de l’INAO est imaginée, de même qu’une intégration des collectivités locales dans les ODG et une coordination renforcée entre l’interprofession et les acteurs de l’environnement. Dans la stratégie nomade, c’est la disparition des instances publiques locales et régionales qui est envisagée au profit des metteurs en marchés et des industriels. Enfin dans un scénario libéral c’est la stratégie « Far-West » qui est mise en avant.
A l’issue de la journée, les participants ont été amenés à se positionner sur les attitudes à adopter par rapport aux quatre scénarios : faut-il être proactif pour favoriser ou non telle ou telle stratégie ? Faut-il être en veille ou seulement vigilant ? Les résultats montrent que 76% des participants veulent agir pour favoriser la venue du scénario innovant et 66,7% veulent agir pour que le scénario libéral n’advienne pas. La stratégie nomade soulève des attitudes beaucoup plus partagées : 39 % des participants veulent agir pour la défavoriser mais 32 % pensent qu’il faut se préparer à la venue de ce futur. Enfin 41,6% des participants envisagent de se préparer dès aujourd’hui à une stratégie conservatrice. « Quel que soit le scénario envisagé, le Val de Loire reste bien positionné si nous considérons la présence de vigne dans notre bassin, l’évolution des surfaces et le savoir-faire ancré. Ce qui changera, ce sera le type d’organisation de notre vignoble. L’évolution du climat doit-être une opportunité pour le Val de Loire… à condition certes que cette évolution soit atténuée, stabilisée !», constate Jean-Martin Dutour.
*LACCAVE : Long term Adaptation to Climate Change in Viticulture and Enology
** IAA : Industries Agro Alimentaires