30.11.2023
Environnement
La transition agro-écologique est une réalité omniprésente en viticulture. Elle conduit à modifier les pratiques en tenant compte de différentes contraintes ou objectifs : le climat, les sols, la biodiversité, etc. Elle peut résulter d’une démarche volontaire (label AB, HVE), de pression réglementaire, d’impératifs climatiques ou encore de la pression économique (distributeurs et consommateurs).Cette transition ne s’opère pas sans risques économiques et financiers pour les exploitants qui doivent conjuguer les risques liés au financement tant de nouveaux équipements ou d’innovations qu’aux coûts des changements de pratiques avec les risques entrepreneuriaux ordinaires liés au contexte général (qu’il soit économique, sanitaire, politique ou social) ainsi qu’à la vie de l’exploitation et de ses acteurs. La conciliation des différents objectifs est d’ailleurs parfois très complexe. Par exemple, la lutte contre le gel tardif se heurte parfois aux impératifs de sobriété énergétique.
Une préoccupation majeure se fait jour pour les viticulteurs : comment maîtriser ces risques liés à la transition agro-écologique ? On convoque alors souvent des outils issus de l’agronomie, mais on pense rarement à la composante juridique de l’exploitation. Or, il peut exister des leviers juridiques, voire des outils techniques et juridiques, qui contribuent à consolider une exploitation pour mieux faire face aux tempêtes à venir. Encore faut-il les identifier.
Le droit dans la gestion d’une exploitation est rarement envisagé comme un paramètre dynamique. Le droit résulte d’abord de la loi et des règlements qui encadrent, interdisent voire incitent. Ces normes fixent le cadre de fonctionnement et des objectifs d’évolution, particulièrement en matière de transition agro-écologique. Le droit résulte aussi de toutes les conventions passées entre différents partenaires (publics ou privés). Ces contrats peuvent concerner des prestations ou des biens, organiser des partenariats, poursuivre des finalités socio-environnementales, etc. Parce que ces contrats sont d’essence volontaire, ils peuvent mobiliser des techniques juridiques particulières satisfaisant à une stratégie précise. Ces techniques, dans la limite de ce que la loi autorise, peuvent soutenir des finalités variées : lorsqu’on les choisit à bon escient, on réalise de l’ingénierie juridique. Ainsi, le cadre juridique d’une activité, qu’il résulte de la loi ou du contrat, a des conséquences économiques et financières Si on le néglige, on peut rapidement ajouter de nouveaux risques et conséquences indésirables à ceux imposés par la nature. Tout entrepreneur, y compris le viticulteur, doit prendre conscience de ce paramètre et faire preuve de plus de vigilance à l’égard du cadre juridique dans lequel il évolue, ne serait-ce que pour éviter le contentieux (qui est très couteux).
S’agissant des risques liés à la transition agro-écologique, on peut identifier deux attitudes proactives : la première consiste à mettre en place des systèmes de prévention ; la seconde conduit à rechercher de nouveaux soutiens financiers et partenaires. Les leviers juridiques sont nombreux pour ceux qui sont bien conseillés.
En matière de prévention, le premier réflexe est de vérifier voire de renforcer l’organisation juridique de l’exploitation. En effet, elle est le socle de travail et le facteur principal de pérennité. Deux exemples parmi les nombreux points de vigilance de l’audit de l’organisation juridique peuvent être mis en avant :
En matière de prévention, le deuxième réflexe consiste à être vigilant à l’égard de chaque convention signée quant aux obligations souscrites lors de la concrétisation d’un projet. En effet, les difficultés rencontrées par certaines exploitations proviennent souvent d’une accumulation d’obligations non maîtrisées. On peut illustrer cette réalité avec l’exemple du financement des innovations en matière de gestion de l’aléa climatique. Imaginons qu’il soit projeté d’acquérir une tour antigel :
La maîtrise de ce paramètre juridique suppose une analyse et une discussion de chaque projet de convention avant signature. La transition agro-écologique attendue est toutefois, à certains égards, vertigineuse si bien qu’on peut douter de ce qu’une exploitation puisse faire face seule aux dépenses qu’elle engendre. Il faut donc chercher des partenariats et contracter avec de nouveaux acteurs, soutiens de la transition. Seule une bonne maîtrise des techniques juridiques permettra de sécuriser les nouvelles conventions susceptibles d’être contractées.
Ainsi, il est possible pour l’exploitant d’institutionnaliser ou de mutualiser les nouveaux aménagements entraînant de nouvelles dépenses. Ce faisant, il peut réaliser des économies substantielles à condition de sécuriser juridiquement les montages.
Enfin, il n’est pas impossible de trouver de nouveaux financeurs (lovemoney, business angels, financement participatif) et investisseurs (fonds d’investissement viticoles). Il y a toutefois un souci légitime de ne pas pactiser avec le diable et de rester maître de son affaire qui incitera à privilégier des partenariats garantissant équité et éthique. Cette fois encore, l’analyse, notamment juridique, des conventions proposées permettra de séparer le bon grain de l’ivraie.
La transition agro-écologique n’est pas sans danger pour l’exploitant. Elle représente un pari sur des nouvelles pratiques d’avenir, un investissement couteux, une prise de risque entrepreneurial. Etre vigilant, c’est aussi prendre conscience qu’elle mobilise plusieurs paramètres et pas seulement des pratiques viticoles. Le droit accompagne nécessairement ces mutations. Il propose des techniques et permet de mettre œuvre des stratégies. L’ingénierie juridique consiste à analyser, discuter, construire les conventions tant pour prévenir les risques que pour nouer de nouveaux partenariats. On comprend aisément que l’exploitant doit être solidement accompagné par des professionnels du droit spécialisés dans les questions viticoles, qui tenteront d’anticiper les difficultés. En cas de doute, le viticulteur ne doit pas hésiter à questionner ses conseils et savoir s’entourer de talents complémentaires si nécessaire.
Fabienne LABELLE, Maître de conférences en droit privé, Université de Tours